Les fermes d’insectes : le futur de l’industrie alimentaire ?

Depuis quelques années, un nouveau mode de production alimentaire se démocratise peu à peu à travers le monde : l'entomoculture, ou l'élevage d'insectes. Entre fermes rurales et usines de transformation, entre tradition ancestrale et industrie du futur, la culture d'insectes tente d'offrir une alternative à la surconsommation de viande planétaire avec une empreinte écologique réduite mais un apport nutritionnel de qualité équivalente, voire supérieure. Mais que sont finalement ces fameuses fermes d'insectes ? Et comment la France, bien qu'elle ne soit pas à l'origine de la pratique, s'impose-t-elle assez clairement comme une nouvelle référence du genre ?
Fermes à insecte

Une culture venue d’Asie

En effet, le fait d’élever ou de consommer des insectes n’entre à priori pas dans les canons de notre sacro-sainte gastronomie française. La culture d’insectes nous vient effectivement d’assez loin, et notamment d’Asie. Au Cambodge ou en Thaïlande par exemple, il n’est pas rare et ce depuis très longtemps, de cuisiner des grillons, des vers à soie ou des criquets. À l’origine considérée comme de la « nourriture de pauvres » réservée aux populations rurales, la gastronomie d’insectes s’est récemment étendue aux villes et aux restaurants chics en quête de saveurs originales. Ajoutez à cela la sensibilisation aux problèmes environnementaux, et vous obtenez une explosion fulgurante de la popularité des insectes cuisinés dans les grandes villes d’Asie du Sud-Est. Et comme souvent, lorsque la demande grimpe, l’offre ne tarde pas à lui emboîter le pas. Autrefois récupérés tant bien que mal aux abords des champs ou au sein des forêts, les insectes disposent désormais de véritables fermes d’élevage, surtout en Thaïlande où ils font fureur auprès des touristes comme des locaux.

Si, dans l’absolu, tous les insectes peuvent être élevés, certaines espèces sont évidemment plus contraignantes que d’autres. C’est pourquoi, pour construire des fermes d’insectes viables, les agriculteurs asiatiques ont d’abord jeté leur dévolu sur des insectes bien spécifiques, choisis selon plusieurs facteurs : la ferme doit pouvoir produire de grandes quantités, avec le moins de contraintes possible et en imitant au mieux les conditions de vie naturelle des insectes.

Idéalement, les éleveurs choisiront donc des insectes vivant en population à forte densité, faciles à nourrir, avec des cycles de vie courts mais qui se reproduisent tout aussi rapidement. Par conséquent, en Asie du Sud-Est, les meilleurs candidats à disposition sont généralement le grillon, le ver à soie ou encore la fourmi.

Cette dernière offre d’ailleurs un avantage supplémentaire, puisque certaines espèces (comme par exemple la fourmi tisserande) ont la bonne habitude de protéger les arbres fruitiers contre les parasites. Par conséquent, il est de plus en plus commun d’allier un élevage de fourmis avec une culture d’arbres fruitiers, comme on associerait plusieurs types de plants dans le cadre de la permaculture. Les agriculteurs limitent ainsi l’utilisation de pesticides nocifs à l’environnement, tout en augmentant la production des deux denrées via une culture plus saine. De plus, les fourmis étant nettement plus organisées que d’autres insectes, elles n’ont pas besoin d’être guidées par les humains pour savoir où s’installer et gèrent leur population de manière autonome. Simple, naturel, efficace… En bref, un élevage fourmidable !

Pour améliorer le rendement, les éleveurs ont également mis au point quelques techniques très simples qui permettent de reproduire artificiellement des conditions de prolifération optimales. On appelle ces techniques des signaux naturels, et consistent par exemple à légèrement arroser les nids d’insectes pour leur faire croire que la saison des pluies est arrivée, ce qui déclenche l’accouplement et accélère la ponte des œufs. De plus, il n’est pas rare de croiser entre elles des espèces issues de milieux légèrement différents. En associant des insectes originaires de la jungle avec une espèce issue des montagnes, les agriculteurs créent un métissage plus résistant, augmentant ainsi leurs vertus nutritives.

Un marché de Bangkok, où l’entomophagie est courante – sources : Les Echos

Bons pour la santé, bons pour la planète

Et justement, selon les chercheurs en science des aliments, les insectes sont excellents pour la santé ! Ces derniers renferment en effet des nutriments essentiels au bon développement du corps humain. Lipides, vitamines, minéraux, acides essentiels et fibres… On trouve de tout chez les insectes, et souvent en plus grande quantité que dans nos viandes classiques, pour un poids équivalent. À titre d’exemple, sachez que pour 100g de grillons, vous régalez votre organisme d’une quantité de protéine 3 fois supérieure à 100g de bœuf. Et si vous préférez les criquets, une dizaine de ces petites bêtes cuites (environ 20g) vous donnera autant de protéines qu’un bon bifteck de 110g…

Cela étant dit, ce qui encourage de plus en plus de gens à se lancer dans l’élevage d’insectes tient surtout à son faible impact écologique. Une empreinte réduite qui s’explique tout d’abord par une économie de l’espace nécessaire : n’importe qui comprend facilement qu’une fourmi demandera évidemment moins de place qu’un bœuf pour vivre… Et alors que l’élevage animal classique est l’un des principaux facteurs de déforestation (et de la perte de biodiversité qu’elle engendre), une alternative à sa pratique ne serait pas de trop. En outre, l’élevage d’insectes consomme en moyenne 50 fois moins d’eau que pour de la viande classique et rejette environ 99% de moins de gaz à effet de serre.

Et comme si cela ne suffisait pas, l’entomologie a depuis longtemps compris que les vertus des insectes ne se limitent pas à la nutrition. De plus en plus d’instituts de recherche ont en effet démontré que leur capacité à coloniser l’ensemble de la planète tient à leur exceptionnelle adaptabilité évolutive, qui leur permet de survivre dans des conditions extrêmes (y compris des environnements radioactifs, toxiques, ou soumis à de très fortes ou basses températures) grâce à leurs outils de synthèse moléculaire. Un métabolisme prodigieux qui leur a valu le surnom de « trésor pharmaceutique » dans le monde de la santé. De nombreux chercheurs comptent ainsi sur les insectes pour faire avancer la médecine et espèrent à terme réussir à dupliquer leurs capacités anti-bactériennes et anti-cancéreuses… Ainsi, qu’ils soient destinés à la recherche, à l’alimentation ou tout simplement pour offrir une protection naturelle de cultures préexistantes, il n’est pas surprenant de voir de plus en plus de fermes à insectes à travers le monde, y compris en France.

Larves de ferme de farine en laboratoire – sources : La Croix

Les fermes d’insectes made in France

Mais si l’ONU encourage déjà l’élevage et la consommation d’insectes pour toutes les raisons citées plus haut, les préjugés ont visiblement la vie dure en Europe. L’idée de manger ou même d’élever les insectes y est en effet peu ragoûtante… Pourtant, à seulement quelques kilomètres de la France, tenter d’expliquer que les escargots, les huîtres, le foie gras ou le boudin nous font saliver constitue également un certain challenge.

C’est peut-être pourquoi, au sein de l’Hexagone plus qu’ailleurs, un nombre croissant de fermes d’insectes commencent à montrer le bout de leurs antennes, et plusieurs startups donnent visiblement de l’appétit aux investisseurs. En septembre dernier, Agronutris a ainsi levé 100 millions d’euros pour l’industrialisation de sa production de protéines d’insectes. Autre coqueluche du marché : Ÿnsect, une startup française originellement destinée à l’alimentation animale, commence à se lancer dans l’alimentation humaine via l’entomoculture. Centrée autour des vers de farine, elle a publiquement reçu le soutien de personnalités comme Cédric O, Julien Denormandie (ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation), Xavier Bertrand mais aussi… Robert Downey Jr. Oui, Iron Man lui-même a investi dans Ÿnsect via son fonds d’investissement FootPrint Coalition et fait sa promotion dans quelques médias américains ! Et si vous souhaitez avoir un peu plus de choix, il convient de citer Micronutris, la première ferme française d’élevage d’insectes comestibles, dont la création remonte à 2011. C’est en effet la seule en France à proposer des produits issus d’autant d’espèces, parmi lesquelles on retrouve le grillon, la mouche soldat et le récurrent ver de farine.

De toute évidence, l’industrie française a largement adapté les techniques de production inspirée par la culture asiatique pour la faire entrer dans l’ère de l’industrie 4.0. Au sein de nos frontières, les fermes d’insectes sont plutôt des usines dans lesquelles la production est presque entièrement automatisée, constamment surveillée via de multiples caméras et où les employés portent des combinaisons de protection intégrales. Et la France ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, comme en témoigne la construction d’une nouvelle usine Ynsect de 45km² et de 36 mètres de hauteur aux abords de Poulainville. Des dimensions impressionnantes qui feraient du site la plus grande ferme d’insectes au monde, ni plus ni moins.

Toutes ces entreprises françaises étant des startups encore jeunes, celles-ci ne sont pas encore cotées en Bourse. Si vous souhaitez investir, vous devrez donc passer par des fonds d’investissement spécialisés dans le développement durable comme Mirova ou des plateformes de financement participatif (WiSeed, Caption, etc…). Les licornes citées plus haut semblent néanmoins promises à un bel avenir, et ne cessent de réaliser des levées de fonds records grâce à ces véhicules d’investissement et parfois celui de business angels visionnaires. Nul doute qu’une entrée en Bourse ne saurait ainsi tarder pour les plus grandes d’entre elles…

En 2020, ¨Ynsect récoltait 224 millions de dollars de la part de FootPrint pour accélérer sa production aux USA – sources : Fortune

 

Et si vous vous inquiétez toujours du goût que peut avoir de la nourriture à base d’insectes, sachez que les INsteaks, des steaks de vers de farine avaient remporté le concours FoodTech de l’Institut Paul Bocuse il y a quelques années. « IN » comme insectes bien sûr, mais également comme la mode qui grossit de jour en jour au sein de nos frontières, et qui pourrait bien devenir un secteur d’investissement original à surveiller en 2022…

Suffisant pour vous mettre l’eau à la bouche ?

Baptiste Vinçon

Baptiste Vinçon

Rédacteur indépendant depuis plus de 4 ans. Passionné par la vulgarisation de l'industrie, de la finance et des nouvelles technologies, Baptiste démocratise les sujets liés aux matières premières, aux marchés financiers et au développement durable.

Nos derniers articles